===== L'Orgue mystique, de Charles Tournemire ===== Ceux qui font profession d'organiste d'église et apprécient le plain-chant connaissent le nom de Charles Tournemire. Mais tous ceux qui accompagnent le rite catholique romain à l'orgue ne connaissent de lui que quelques pièces qui étaient des improvisations((enregistrées sur disques 78 tours, ultérieurement transcrites par son élève Maurice Duruflé.)). Or il se trouve qu'il a légué un //corpus// largement méconnu d'œuvres pour orgue que seuls quelques spécialistes ont pris la peine d'analyser et de déchiffrer, connu sous le nom d'//Orgue mystique//.\\ Charles Tournemire (1870 - 1939), titulaire de l'orgue de Sainte Clotilde((l'église de César Franck)) où il succéda à Gabriel Pierné, était professeur d'harmonie au Conservation supérieur de musique de Paris. Élève de César Franck, lui-même enseigna à Jehan Langlais, Olivier Messiaen et Maurice Duruflé. Doté d'une [[http://www.mqcd-musique-classique.com/forum/showthread.php?t=2649 |personnalité]] attachante mais à l'humeur parfois changeante, c'était un catholique profondément mystique, influencé par les écrits d'[[wpfr>Ernest_Hello |Ernest Hello]].\\ Proche des moines de Solesmes((Après les lois de 1905 et les persécutions qui suivirent, les ordres religieux avaient été autorisés à revenir en France dans les années vingt.)) à une époque où, faisant suite à la première guerre mondiale, une religiosité renouvelée traversait la société française, Tournemire forma à partir de 1922 le projet de compositions basées sur le Propre des dimanches. Tournemire rendit souvent visite à l'abbaye de Solesmes et, décrivant ses conversations avec les moines de Solesmes, il s'imprégna du chant grégorien et de son interprétation. Entre 1922 et 1927, Tournemire rédigea le plan de composition de l'//Orgue Mystique//. Il prit note des chants du Propre de chaque dimanche de l'année et des chants de l'Office divin. Comme références il eut recours à l'édition de 1908 du //Graduale// et de celle de 1871 du Missel romain. Cinquante et une suites, initialement écrites par ordre de prééminence liturgique, furent composées. Regroupées sous trois numéros d'//opus//((Cycle de Noël, Op.55 ; Cycle de Pâques, Op.56 ; Cycle après la Pentecôte, Op.57)), elles furent écrites entre 1927 et 1932. Ces suites ne correspondent pas exactement à l'intégralité de la liturgie dans l'année((Un examen attentif révèle qu'il fit quelques erreurs et que certains chants ne faisaient pas partie du Propre du jour.)) et certains choix de Charles Tournemire ont été influencés par les usages de l'orgue à l'époque en France((L'orgue ne jouait, pendant l'Avent et le Carême, que lors de l'Immaculée Conception, le troisième dimanche de l'Avent et le dimanche de //Laetare// pendant le Carême)) ainsi que par la lecture attentive de l'//Année Liturgique// de dom Guéranger.\\ {{ youtube>qHFt_1oSLdA?small}} La structure des suites est assez classique : Prélude a l'Introït, Offertoire, Élevation ,Communion et Pièce terminale. On notera que la dernière pièce de la dernière suite est basée sur le //Te Deum//. Comment Tournemire voyait-il l'emploi de ces suites ? Encore une fois, les usages liturgiques en France présidaient aux interventions de l'orgue pendant la messe : * le Prélude était joué entre l'//Asperges// et l'//Introit// ; * l'Offertoire introduisait la pièce en plain-chant du jour ; * l'Élevation est généralement la pièce la plus intéressante parce qu'en France, à ce moment précis, l'orgue jouait toujours ; * la Communion se comprend d'elle-même ; * la Pièce terminale représentait pour Tournemire un ample temps de méditation sur la journée liturgique elle-même et comprend des chants de l'Office et d'autres selon son inspiration personnelle : il s'agit souvent de morceaux assez longs, intériorisés et qui ne s'achèvent pas systématiquement sur les pleins-jeux de l'orgue((Donc assez différents des sorties brillantes auxquelles les organistes se livrent d'ordinaire.)). {{ http://musicasacra.com/wordpress/wp-content/uploads/2011/07/03.19.12_Tournemire_Cover.jpg?300}} Pourquoi parler de Tournemire ? L'utilisation du plain-chant qu'il réalise est à la fois puissante et toujours d'actualité : si on encourage l'emploi du plain-chant, l'usage de la musique basée sur et autour du chant grégorien ne peut qu'être chaudement recommandé. La musique de Tournemire ne peut pas être séparée de la liturgie et c'est la raison pour laquelle cette dernière, profondément liée à la liturgie et à l'esprit de la liturgie, est indispensable.\\ Esthétiquement parlant, sa musique est impressioniste et profondément enracinée dans les modes du plain-chant. Jehan Langlais remarqua qu'elle ne devait pas servir d'intonation pour le chant grégorien mais d'ornement de la liturgie. De l'autre côté de l'Atlantique, le CMAA((//[[http://musicasacra.com/ |Church music association of America]]//)) lui a consacré des journées d'études en 2012 : //The Aesthetics and Pedagogy of Charles Tournemire: Chant and Improvisation in the Liturgy//.\\ Il existe très peu d'intégrales enregistrées de cette œuvre monumentale, la plus connue étant celle enregistrée par [[http://www.amazon.fr/Tournemire-LOrgue-Mystique-Int%C3%A9grale-Coffret/dp/B0000AKPNW |Georges Delvallée]] ; cette intégrale a été mise en libre écoute sur le site de diffusion de vidéos en ligne [[http://www.youtube.com/user/TheMysticalOrgan/videos?sort=da&view=0&flow=list&live_view=500 |Youtube]]. Enfin, publiée au fil du temps sous forme de cahiers périodiques par les éditions Heugel, l'intégralité des partitions est difficile à dénicher dans le commerce ; toutefois, l'ensemble étant passé dans le domaine public, on les trouve en [[http://imslp.org/wiki/L%27Orgue_mystique_%28Tournemire,_Charles%29 |téléchargement]] sur internet.\\ Messiaen proclama qu'un jour le monde redécouvrira Tournemire. Concluons par cette citation de Charles Tournemire : "L'orgue sans le chant est comme un corps sans âme." \\