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Chant grégorien
Historique
La musique sacrée de l'Église catholique romaine est le chant grégorien, élaboré en Occident à partir du VIIIème siècle, construit à partir d'un socle de chant vieux-romain, ensuite considérablement enrichi par le chant gallican à la cour du roi Pépin le Bref et de ses successeurs. Son fils, Charlemagne, désireux d'unité dans son empire, a généralisé l'usage du chant qui a pris le nom de “grégorien” à cette époque en mémoire du pape Grégoire le Grand (lequel n'avait pas inventé le chant grégorien à proprement parler, mais a unifié les modes liturgiques). Initialement élaboré entre Metz et Aix-la-Chapelle à la Cour des empereurs carolingiens, le chant grégorien s'est répandu et a servi de modèle pour la composition de musique sacrée dans toute l'Europe chrétienne depuis cette époque.
Il connut un déclin relatif à partir du quinzième siècle, suivi d'une longue période d'oubli, avant sa redécouverte au dix-neuvième siècle.
Notions de base - Interprétation - Notation
Le chant grégorien ou plain-chant se chante a capella, c'est-à-dire sans accompagnement harmonisé instrumental. Il s'agit d'un chant monodique qui ne peut supporter aucune adjonction de sons étrangers à sa ligne mélodique : toutes les voix qui l'exécutent chantent donc à l'unisson. Ce chant est habituellement interprété par un chœur ou schola, et par un ou plusieurs soliste(s) appelé(s) chantre(s). Mais si dans les chœurs grégoriens le chant est exécuté à l'unisson, hommes et femmes ne chantent pas simultanément : soit la pièce est chantée par les voix des femmes, soit elle l'est par celles des hommes, soit les versets sont alternés entre femmes et hommes.
Le chant grégorien est destiné à soutenir le texte liturgique en latin. Cette musique récitative, qui prend son origine dans les lectures, favorise ainsi l'intériorisation et la conscience des paroles chantées. Ce chant est indissociable de la langue latine ; il n'existe normalement pas de pièce grégorienne traduite en langue vernaculaire car la mélodie grégorienne est tellement connaturelle au texte latin et à son rythme que le chant en langues différentes est virtuellement impossible.
Du point de vue mélodique, le chant grégorien est modal et diatonique. Les différentes échelles utilisées, avec leurs degrés et leurs modes, sont appelées modes ecclésiastiques ou échelles modales, par opposition aux échelles utilisées postérieurement dans la musique classique occidentale (tonale avec ses deux modes, majeur et mineur).
Les signes de la notation musicale sont les neumes, placés sur une portée à quatre lignes. Ceux-ci furent en usage à partir du neuvième siècle et durant tout le Moyen-Âge, jusqu'à la généralisation de la portée moderne à cinq lignes. Cette notation, calquée sur celle de la fin du XIIe - début du XIIIe siècles, reste utilisée dans les éditions modernes de plain-chant.
Contrairement à l'approche moderne, l'élément de base pour le chant grégorien (que ce soit pour son analyse ou son interprétation) n'est pas la note de musique mais le neume : en effet, le neume transcrit une formule mélodique et rythmique appliquées à une syllabe, une même syllabe pouvant recevoir plusieurs neumes, dans le chant mélismatique.
Le rythme, question complexe en chant grégorien, découle des paroles et de la musique par la superposition des deux logiques, par opposition à la cadence régulière de la musique issue de la Renaissance.
Rappel de quelques évidences
La finalité de la musique sacrée est la gloire de Dieu et la sanctification des fidèles : elle ne se confond pas avec la musique religieuse.
Il y a près d'un demi-siècle, le chant grégorien, modèle suprême de la musique sacrée, et la polyphonie, ont été considérés comme l'expression d'une conception du passé, à oublier et à négliger parce qu'ils limitaient la liberté et la créativité des individus et des communautés, cela malgré les termes rassurants de la constitution Sacrosanctum Concilium en son chapitre VI : La musique sacrée. Il était également fait reproche aux chantres et aux Scholæ de monopoliser les parties chantées de l'Office alors que les fidèles entonnaient depuis des lustres les prières de l'Ordinaire et une multiplicité d'hymnes grégoriennes qu'ils chantaient par cœur, du fait de la fréquentation régulière des offices religieux depuis leur enfance.
Ceci a conduit à une désacralisation de la liturgie issue du concile Vatican II : parmi les artisans de cette décadence, un auteur à succès n'avait-il pas intitulé “Un spectre tenace” l'un des chapitres de son livre1) ? Le spectre en question était le sacré, raillé comme le sous-produit d'une religiosité vieillotte, prétendument élitiste et obscurantiste, à éradiquer au plus vite. La destruction planifiée du latin et de la liturgie en France a conduit à la multiplication des chansonnettes 2) à un point tel que peu de gens les connaissent et qu'on ne les chante guère : il s'agit d'une musique de consommation, banalisée et jetable. Le système ne fait vivre que les éditeurs-compositeurs bénéficiaires de la manne collectée par le SECLI auprès de toutes les paroisses de France. Même les chorales évitent ce répertoire, conscientes de la vacuité d'une telle musique, et préférent consacrer leur énergie à de véritables pièces de répertoire.
Le résultat de ces pratiques fut une tragique erreur : loin des remplir les églises comme on l'espérait, les chants avec guitare ont fait fuir des cohortes de fidèles ; de plus ces choix esthétiques discutables ont durablement éloigné les véritables artistes de l'Église.
Le pape Benoît XVI, le 7 juillet 2007, écrivait :
L’histoire de la liturgie est faite de croissance et de progrès, jamais de rupture. Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur donner leur juste place.
Face à cette débâcle, le chant grégorien est un chant d'éternité qui transcende les époques, a survécu aux modes musicales et qu'on chantera toujours. Plus qu'avec de longs discours, cette admirable prière chantée touchera les cœurs si un minimum de préparation est accompli avant son exécution :
- respecter le texte et faire ressortir sa musicalité ;
- y mettre l'intention juste, donc comprendre le texte et sa place dans la liturgie ;
- le chanter ensemble, sans prétention soliste, avec ferveur, sans lenteur inutile.
Car il s'agit, ne l'oublions pas, de l'une des plus belles voies vers l'expression du sacré3) au sein de l'Église.
Une source d'inspiration pour les compositeurs de toutes les époques
Indépendamment de la liturgie, le chant grégorien est apprécié pour sa qualité esthétique : c'est un genre musical qui en général appelle au calme, au recueillement et à la contemplation intérieure 4). Tous les compositeurs, depuis la fin du Moyen-Âge, ont eu à cœur d'enrichir, par l'art de la polyphonie d'abord, par l'emploi des instruments, notamment l' orgue, le cadre liturgique des célébrations religieuses en puisant leur inspiration dans ce corpus de musique sacrée de l'Église.
Il serait impossible de les citer tous et nous n'évoquerons qu'une œuvre de Maurice Duruflé : sa Messe cum Jubilo, op. 11 5), est une illustration musicale parfaite de ce qui précède, tout en amplifiant dans un style post-impressionniste le plain-chant de la Missa IX grégorienne.
Voir à ce propos l'accompagnement instrumental du plain-chant.
